Comité « Ni guerres impérialistes, Ni état de guerre » de Marseille
Nous résumerons ici
les raisons de la création d’un comité contre la guerre en
présentant deux constats.
1° constat. Il
n’existe pas à l’heure actuelle d’opposition sérieuse à la
dénommée et interminable « guerre contre le terrorisme »
à laquelle s’est ralliée la France. Autrement dit, et pour
simplifier : il n’existe pas de critique de principe,
c’est-à-dire clairement anti-impérialiste, des guerres
françaises. Les mouvements contre la guerre impérialiste n’ont
certes jamais été puissants en France mais ils ont eu au moins le
mérite d’exister et de faire entendre un antagonisme, une voix
révolutionnaire. L’occupation de la Ruhr, la guerre du Rif contre
l’héroïque soulèvement mené par l’émir Abdel Krim, la guerre
d’Indochine ou la guerre d’Algérie ont donné lieu à des
mouvements en France qui ont fait face à l’État. Ailleurs,
quelles que soient leur orientation politique stratégique ou leurs
limites, des mouvements ont existé dans les centres anglo-saxons
comme « Not in our name » pour dénoncer les
réponses de Georges Bush au 11 septembre ou, plus proche de nous, la
manifestation des vétérans anglais jetant leurs médailles pour
protester contre les bombardements britanniques en Syrie.
Mais qu’en est-il
aujourd’hui en France ? Sur la scène publique et militante,
la critique des opérations guerrières ne semble pas aller de soi.
En tout cas, la critique ne va pas au-delà de conseils avisés sur
la meilleure manière de gagner contre les djihadistes de Daech,
déclarés unanimement ennemis n°1 de l’ « extérieur »
et de l’ « intérieur ». La désignation
commune de l’ennemi n°1 a une conséquence évidente. L’ordre
international des brigands impérialistes, le fameux capitalisme
global, n’est donc pas défini comme l’ennemi n° 1, il
n’est pas remis en cause comme ennemi principal des classes
exploitées d’ici et de là-bas.
Il est vrai que
l’État islamique n’a actuellement pas d’équivalent parmi les
groupes djihadistes, y compris Al Qaida. Il est le seul à avoir un
projet visant à la construction d’un État territorial doté d’une
administration et d’une économie propre alors que les autres
groupes djihadistes agissent à la manière de seigneurs de la guerre
en occupant transitoirement de petits espaces de repli qui leur
servent à monnayer leur « collaboration » auprès
des forces impérialistes et autres puissances régionales. Avec une
part de ruse, mais aussi une indéniable intelligence politique, l’EI
a su utiliser les humiliations provoquées par les interventions
impérialistes pour s’insérer dans deux conflits importants non
encore résolus pour l’instant : les luttes de pouvoir
confessionnelles qui ont ravagé les terres d’Irak et de Syrie
depuis 2003 et la relation des sociétés occidentales avec leurs
propres musulmans. Il ne faut pourtant pas se leurrer : Daech ne
fait pas le poids militairement et l’ordre social des états
occidentaux n’est pas en danger. Comme toujours et bien qu’il
détiennent une supériorité militaire évidente, sitôt que leurs
intérêts sont quelque part remis en cause, les grands impérialistes
hurlent que c’est l’humanité tout entière qui est menacée
(voir Nasser qui avait été traité de « nouvel Hitler »
au moment de la crise du canal de Suez ou l’Irak de Saddam Hussein
décrété quatrième armée du monde).
Ce n’est pas la
queue qui remue le chien. C’est l’inverse. Il est logique que les
classes dominantes exagèrent l’importance de leurs cibles (même
quand il s’agit d’Al Qaïda, qui est alternativement soutenu et
combattu selon les circonstances) alors qu’elles ne visent en fait
qu’à détruire l’Irak et à morceler le Moyen-Orient. Mais ce
qui est inacceptable et honteux, c’est le comportement des
anticapitalistes déclarés qui reprennent ce discours en le
maquillant d’un jargon « gauchisant ». Si on veut
qu’un mouvement contre la guerre existe en France, il faut sortir à
tout prix de la sidération anti-terroriste. Ce que nous dénonçons
en premier lieu c’est l’impérialisme français dans toutes ses
manifestations. Il est vrai, cette tâche s’accomplit dans un
contexte difficile et nous le savons. Nous ne nous heurtons pas
seulement aux ralliements purs et simples à la guerre des
civilisations comme celui de l’écrivain Erri de Luca devenu un
ardent défenseur de la déchéance de la nationalité et donc de la
grandeur de posséder la nationalité française. Mais nous nous
heurtons aussi et surtout aux semi-dénonciations de « l’état
de sécurité » instauré en France et à la
semi-dénonciation du rôle des puissances impérialistes dans les
conflits au Proche-Orient. Semi-dénonciations qui s’arrêtent à
un point précis : le principe d’ingérence française dans
les affaires des autres nations et d’intervention sur leurs
territoires n’est pas remis en cause.
Semi-dénonciations
qui cachent que l’état de guerre n’est pas seulement extérieur
mais aussi intérieur, que dans la métropole impérialiste aussi il
faut que règne un climat de guerre, de suspicion, de psychose, de
contrôle, de militarisation : la démocratie sait recourir aux
méthodes fascistes quand elle en a besoin.
Pour nous, la seule
position internationaliste conséquente nécessite de considérer
l’impérialisme français comme notre premier ennemi car c’est
celui dans lequel nous vivons et que nous subissons.
2° constat. Nous
avons besoin d’idées claires et de principes communs. Il est
nécessaire de comprendre les origines et les tendances des guerres
actuelles, de comprendre en particulier que les guerres sont
consubstantielles à l’impérialisme, à sa situation actuelle de
crise généralisée. C’est la seule solution si on ne veut pas
être soumis aux seules explications de l’idéologie dominante et à
ses diverses variantes véhiculées par la bourgeoisie de gauche. La
position que chacun et chaque groupe est amenée à prendre face aux
guerres actuelles et futures vient d’une analyse sur l’origine
des violences qui ravagent le monde. Il faut donc se confronter à
une question simple : d’où viennent les guerres qui ravagent
le monde ?
L’explication
standard matraquée un peu partout sur la situation actuelle est la
suivante : depuis le 11 septembre 2001, le monde a changé,
c’est-à-dire que c’est désormais le terrorisme qui menace les
« grandes démocraties » et « l’islam
radical » en est le ferment. Toute la situation mondiale
est expliquée par l’opposition entre d’une part d’inoffensifs
démocrates, en général occidentaux, libres et tolérants, au moins
depuis les Lumières, et d’autre part des hordes meurtrières
islamistes, des barbares arriérés et nihilistes, des monstres
froids sortis tout droit du fanatisme moyenâgeux.
Nous refusons cette
fable de la lutte de la Démocratie contre la Barbarie. Les confits
fondamentaux de notre époque ne viennent pas de l’affrontement
noble entre un Occident civilisé et ses alliés locaux face à des
monstres barbares qu’ils s’ agissent de petits despotes locaux
comme Bachar el-Assad ou Khadafi ou de bandes armées se réclamant
de l’islam. Les guerres menées actuellement par la France et par
d’autres puissances impérialistes ne sont qu’un épisode d’une
guerre de domination pour le partage du monde, des zones d’influence
et du contrôle des ressources. Lénine a décrit parfaitement, il y
a 100 ans, dans sa brochure d’une actualité sidérante :
l’Impérialisme stade suprême du capitalisme, les bases réelles
des guerres contemporaines. L’impérialisme n’est pas une
politique circonstancielle mais une étape précise du développement
du capitalisme. Les grands groupes capitalistes, les banques et les
fonds financiers se partagent « amicalement » le
marché mondial jusqu’à ce que la guerre le repartage à nouveau.
Dès ses débuts, le capitalisme est né dans et par la guerre. Il
fallait deux conditions pour que ce mode de production apparaisse :
1) une partie de la population qui n’a comme bien que sa force de
travail et 2) une accumulation primitive du capital par la
dépossession et le pillage et cela est passé comme chacun le sait
par le génocide des Amérindiens et l’esclavage transatlantique.
La guerre est consubstantielle au capitalisme. La « mondialisation »
ne vient pas des nouvelles technologies mais de la recherche de
valorisation du capital et la lutte entre les capitaux débouche
inévitablement sur les affrontements militaires.
Revenons à quelques
circonstances particulières immédiates. Pour quelle raison subite
les courants de la religion politisée de type saoudiens se sont mis
à essaimer, à se renforcer, sur les décombres de l’Afghanistan,
de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Sahel, de la Somalie et
d’où vient que parfois ils prennent pour cible ceux qui les ont
sponsorisés depuis des décennies ?
D’une part, les
mouvements nationalistes anti-coloniaux ont été systématiquement
détruits (quelquefois par la répression, mais aussi par la
corruption et l’intégration des élites arabes, qui les a amenées
à accepter le statu quo impérialiste et à abandonner la
perspective de la nation arabe unifiée). Le prolétariat des pays
impérialistes étant absent en tant que sujet historique actif, ce
sont donc des groupes se revendiquant de l’islam politique qui ont
repris le drapeau de l’opposition aux ingérences occidentales.
Mais sous le masque de la religion et la glorification du passé, ce
sont des forces sociales bien réelles qui sont en action. Dans cette
affaire, la religion joue un rôle de ciment socio-politique pour des
populations abandonnées, isolées et opprimées.
D’autre part, les États impérialistes mènent actuellement et depuis de nombreuses années des opérations guerrières dans de nombreux pays. En Irak, en Syrie, dans le Sahel et en Centrafrique. Et une nouvelle intervention en Libye se prépare. Manuel Valls, le premier ministre de l’Impérialisme Français, a déclaré que la guerre en cours était celle contre le djihadisme, l’islamisme et contre Daech, qu’elle était « totale et mondiale », et qu’elle allait durer pour une ou plusieurs générations (déclaration à la BBC le 22 janvier 2016). On sait que la destruction de l’Irak puis le chaos installé en Libye ont été favorables à l’apparition des petits émirats et des états clients comme le Kurdistan irakien autour des puits, des mines, des voies de passage aux ressources. Des mouvements qui ne reconnaissent pas les États-nations arabes sont donc avantagés par ce genre de situation.
La France a déjà
bombardé la Syrie en 1945 et l’ordre de toute la région est
depuis l’expédition de Bonaparte en Égypte de 1798 et surtout
depuis le démantèlement de l’Empire Ottoman après 1918
(préfigurés par les fameux accords Sykes-Picot), un ordre dans
lequel toute velléité d’indépendance du monde arabe est réduite
en cendres, jusqu’à imposer de toutes pièces une colonie
occidentale comme « Israël ».
Mais la logique de
guerre s’étend en France elle-même. Avant de l’être dans les
banlieues en 2005, l’état d’urgence fut déclaré en Kanaky en
1984, là où les communards et les insurgés kabyles furent déportés
après la Commune de Paris et la révolte de Si-Mokrani. Ce théâtre
oublié du colonialisme contemporain forme une sorte de triangle avec
l’Afrique et en particulier l’Algérie (l’ancienne colonie de
peuplement) et les banlieues ou quartiers populaires. De cette vie de
parias aux interventions économiques et militaires actuellement
menées par la France, il n’est pas si difficile de comprendre
pourquoi l’État Islamique exerce une telle attraction sur une
partie de la jeunesse. Il y a une surdité totale sur cette question
en France. Les raisons d’embrigadement d’eurodjihadistes sont
présentées surtout comme le résultat d’une propagande
sophistiquée sur le web. Beaucoup moins souvent comme le résultat
de la relégation et de la discrimination mais quasiment jamais comme
le fruit des guerres actuelles.
Cet aveuglement a
créé un climat de psychose très particulier. Lorsque les élèves
des collèges et lycée de France ont dit après le 13 novembre que
les odieux attentats étaient une conséquence des bombardements en
Syrie, leurs enseignants ont été paniqués et désemparés et dans
le pire des cas, ils ont dénoncé cette évidence comme un propos
hérétique et toxique.
La France est un
centre impérialiste mondial amassant des ressources considérables,
sans égard pour leur coût humain. Des multinationales françaises,
comme Total, Bolloré ou encore Areva, protégées par les troupes
françaises, continuent à piller les ressources de pays comme le
Mali, le Niger ou la République Centrafricaine, les appauvrissant
chaque jour davantage.
Les attentats de
Paris ou de Bamako ont un lien direct avec le déploiement de forces
militaires au service des intérêts économiques français. Les
mêmes stratégies de contre-insurrection, déjà utilisées au Mali,
entre Centrafrique, au Tchad, en Libye ou ailleurs, pourraient
transformer n’importe lequel de ces endroits en d’autres Syrie,
justifiant de nouvelles mesures antiterroristes sur le sol de la
puissance tutélaire.
Dans les centres de
domination du monde, dans les centres impérialistes, comme celui
dans lequel nous vivons, les États ne promettent plus la prospérité,
la paix et une vie bienheureuse, une confortable et prétendue vie
démocratique comme ils en avaient pris l’habitude après
l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Au contraire,
l’opinion est désormais conditionnée, au nom du salut de la
République, à accepter l’état d’exception, à se préparer à
des conflits armés gigantesques pour la défense de la Nation et de
la culture occidentale, à vivre dans un climat de tensions
interconfessionnelles ou interethniques et à se résigner aux
sacrifices en tous genres en attendant de payer l’impôt du sang.
L’enjeu de la
guerre contre le terrorisme n’est pas la liberté, la démocratie,
le progrès et les nombreuses idéologies en lettres majuscules qui
jonchent comme autant de croix le chemin de la société bourgeoise,
mais les rapports de force et les conditions de survie des grands
systèmes économiques et politiques du capitalisme, parmi lesquels
la France constitue un maillon essentiel.
C’est donc l’État
français que nous devons dénoncer et combattre en priorité. Car
c’est cet impérialisme que nous subissons frontalement. Car les
guerres dévastatrices dans lesquelles il est impliqué soit
directement par ses interventions militaires ou son soutien
logistique (opération Chammal en Syrie et en Irak, opération
Barkhane Sahel, opération Sangaris en Centrafrique, forces spéciales
au Yémen et en Libye), soit indirectement par ses ventes d’armes
(Arabie saoudite, Égypte) ont pour corollaire la politique
dévastatrice qu’il mène à l’intérieur contre les classes
pauvres, par l’aggravation des discriminations et de l’exclusion
subie par une grande partie d’entre elles, par l’attaque directe
contre les conditions de vie et de travail des prolétaires. Les
vagues de licenciements se succèdent les unes après les autres, les
cadences de travail ne cessent d’augmenter avec pour conséquence
les accidents du travail, la précarité ne cesse de gagner du
terrain, en un mot l’incertitude du lendemain se généralise, y
compris parmi les couches sociales qui se croyaient « protégées ».
Cette agressivité
tant intérieure qu’extérieure est la réponse de la bourgeoisie
française à la concurrence de plus en plus agressive qui agite le
marché mondial du fait de l’approfondissement de la crise du mode
de production capitaliste. Dans les deux cas, il s’agit pour elle
de contrecarrer la baisse du taux de profit, de permettre au capital
d’apaiser son insatiable faim d’accumulation et de valorisation.
L’impérialisme qui
divise les dépossédés de la terre en camps opposés, les unifie
involontairement, par la logique de son développement, dans un
destin commun. Si les guerres impérialistes portent à leur
exaspération et à leur tension maximales les manifestations de
violence, d’arrogance, d’oppression du mode de production
bourgeois, elles portent également plus haut ses contradictions
internes, conditions objectives de son inéluctable renversement.
texte lu en introduction à la réunion publique tenue à l'Equitable Café le 19 mars 2016
texte lu en introduction à la réunion publique tenue à l'Equitable Café le 19 mars 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire